Vous ne le savez peut-être pas, mais où que vous soyez, vous respirez probablement du radon, car ce gaz, assimilé aux gaz rares, est omniprésent à la surface de la terre. Inodore, incolore et insipide, donc parfaitement indétectable sans appareil de mesure, ce gaz s’échappe naturellement de la croûte terrestre pour se diffuser dans les sols et par exhalation des sols, rentrer dans l’air intérieur de nos bâtiments.
La particularité intrinsèque de ce gaz naturel et qui en fait aussi son importance sanitaire, c’est sa radioactivité. En effet, ce gaz se forme dans la chaîne de désintégration naturelle des éléments radioactifs contenu dans le sol. Issu de la désintégration du radium, lui-même issu de la chaîne de l’uranium, le radon se désagrège à son tour libérant d’autres substances radioactives comme le polonium, le bismuth et le plomb. Et comme l’uranium et le radium sont présents dans la croûte terrestre depuis l’origine de la formation de notre chère planète bleue, et dont les isotopes ont une demi-vie de 4,5 milliards d’années environ, il est inutile de préciser que la production naturelle de radon a encore de beaux jours devant elle.
A l’air libre, l’émanation du radon reste sans conséquence sanitaire sérieuse puisqu’il se dilue dans les masses d’air dès son échappée de la croûte terrestre. Cependant, dans les maisons se joue un scénario différent. Le gaz, plutôt que de se dissoudre dans l’air ambiant se stocke dans les matériaux creux ou poreux de la construction ou, peut être aspiré par une dépression intérieure, dans les parties de nos logements les moins ventilées, et va pouvoir se concentrer au fil du temps. Pour exemple, l’émanation naturelle moyenne du radon varie de 50 Bq/m³ (Becquerels par mètre cube) à 150 Bq/m³ suivant la nature des sous-sols, alors que dans une habitation ou tout autre local, il est possible de mesurer plusieurs centaines voire plusieurs milliers de becquerels par mètre cube !
Quel est l’impact sanitaire du radon ?
Selon l’EPA (Agence de Protection de l’Environnement des États-Unis), il est la seconde cause la plus fréquente de cancer du poumon après le tabagisme. Les premières études qui ont pu démontrer de manière significative le lien entre l’exposition prolongée d’un individu au radon et le cancer du poumon ont été réalisées sur les mineurs, population particulièrement touchée par ce gaz en travaillant dans les sous-sols géologiques. Cependant, depuis cette époque d’autres études ont été menées et ont confirmé indiscutablement le rapport entre l’exposition au radon et le déclenchement de cancers pulmonaires. Voici la conclusion d’une des dernières études européennes conduite sous la direction du Pr Sarah DARBY sur la question du radon : L’analyse comparée de 11 études européennes montre un rapport linéaire sans seuil minimum entre exposition et effet, et reste significatif même à des concentrations inférieures aux niveaux pour lesquels il est actuellement recommandé d’agir. Elle montre également que le radon accumulé dans les habitations provoque en Europe 9% des décès par cancer du poumon et que ce gaz accroît fortement les effets négatifs du tabac puisqu’à exposition égale le risque d’avoir un cancer du poumon est 25 fois plus élevé pour un fumeur que pour un non fumeur. Notons, que le Radon seul reste un risque majeur en air intérieur puisqu’il demeure, au niveau mondial, la deuxième cause du cancer du poumon, selon l’OMS.
Le radon a une durée de séjour dans les poumons relativement courte (3,8 jours pour sa demi-vie ou temps de désintégration de la moitié des atomes). Cependant, les produits de filiations du radon et en particulier les 3 poloniums 218, 214, 210, très réactifs, se fixent par attraction électrostatique sur les fines particules en suspension dans l’air (particules de cuisson, poussière, fibres, volutes de tabac et fumée…). Ces particules sont inhalées et se déposent dans nos poumons. Les produits de filiation se désintègrent alors en émettant des particules α. Le transfert d’énergie de ces rayonnements ionisants (qui transforme les atomes ou les molécules) aux tissus est responsable des effets biologiques qui affectent les cellules des tissus exposés, de sorte que les processus biologiques peuvent être affectés au niveau des cellules pulmonaires, et engendrer un risque potentiel de cancer du poumon.
Le radon dans nos maisons
Le problème potentiel de santé publique posé par le radon est lié à l’exposition domestique. Le processus connu donc, est que le radon qui s’échappe de la croûte terrestre se diffuse par les sols puis se concentre dans l’air intérieur de nos logements. La concentration se réalise généralement en milieu enterré en prise directe avec le sous-sol géologique : dans les caves, les sous-sols, les garages enterrés ou les vides sanitaires peu ou pas ventilés et aussi en milieu de prise directe avec le sol naturel : sur les dalles de sol sur terre plein. Aucune dalle béton n’étant aujourd’hui étanche au gaz, le radon 222 finit par traverser l’interface sol/bâtiment par le biais des porosités naturelles, des microfissures et des fissures présentes dans le béton, ou encore par les trous et interstices prévus (ou rajoutés) pour le passage de l’ensemble des réseaux (eau potable, électricité, gaz, eaux usées, télécoms, puis canadien, géothermie, …) puis arrive à l’intérieur de nos habitats.
De plus, l’effet dépressionnaire de nos maisons, provoqué par la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur, par le chauffage intérieur et la présence de VMC en extraction, peut accentuer le phénomène d’aspiration du gaz. Deux maisons voisines possédant une architecture semblable et bâties sur un sol de même nature peuvent présenter des concentrations en radon totalement différentes ; cela, suivant les matériaux de constructions (certains éléments de construction comme les briques creuses ou blocs béton alvéolés peuvent stocker du radon en intérieur des murs tout comme la cloison de doublage en contact avec le sol par le joint de dilatation sol/mur). La teneur des sols en radium et donc en radon, la capacité de diffusion du radon par le sol et le sous-sol, et l’efficacité de la ventilation du logement qu’elle soit naturelle ou mécanisée et le chauffage, influent fortement sur la qualité de l’air intérieur. Nos habitudes de vies participent également à une concentration plus ou moins importante du gaz radioactif (par exemple si l’on ouvre souvent ou peu nos fenêtres, la concentration de radon diminue et la qualité de l’air augmente).
Que dit la règlementation ?
Aussi curieux que cela puisse paraître au vue de l’importance du problème sanitaire que pose le radon, Il n’existe à l’heure actuelle aucun texte réglementaire et aucune norme obligatoire en matière de radon au sein de l’habitat privé en France, alors que d’autres pays européens comme la Grande Bretagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, l’Italie et la République Tchèque ont déjà des normes nationales. Notons également que les États-Unis ont légiféré sur les constructions neuves avec un niveau de référence à 150 Bq/m³ depuis 1988. Plus près de nous, au regard des dernières études publiées, la Commission Européenne a précisé sa position sur la problématique du radon et incite les états membres à légiférer sur la question en préconisant une valeur seuil de 200 Bq/m³ pour toute construction neuve. L’OMS (Organisation Mondial de la Santé) préconise quant-à -elle une valeur seuil à 100 Bq/m³ depuis septembre 2009 en ayant souligné les risques de cancers entre 100 et 400 Bq/m3. En suisse, dans un bâtiment neuf, le standard MINÉRGIE-ECO prévoit de ne pas dépasser la valeur de 100 Bq/m3 !
Retour en France. Il n’existe aucune prévention domestique donc pas de norme pour les habitations individuelles mais une réglementation officielle encadre tout de même quelques catégories limitées de bâtiments ERP (Établissement Recevant du Public) comme les écoles publiques, les hôpitaux et établissements sanitaires et sociaux, les prisons, les établissements thermaux inscris dans 31 départements définis comme étant « à risque radon », suite à des mesures nationales réalisées dans les années 80 (ces 31 départements étant principalement compris dans la grande région Centre, la Bretagne, la Corse et les Vosges). Précisons que cette campagne ancienne a été faite au moment ou la performance énergétique était constituée majoritairement de simples vitrages bois et fer, alors que désormais les logements sont équipés en standard (neuf ou en rénovation) de doubles ou de triples vitrages aluminium ou PVC et les locaux sont donc moins bien aérés et donc avec un potentiel supérieur de concentration de radon en air intérieur. Cette réglementation actuelle oblige chaque ERP (pour les ERP concernés et uniquement dans un département déclaré) à réaliser des analyses de concentration en radon. Pour ces derniers, des valeurs guides ont été établies : de 0 à 400 Bq/m³ aucune remédiation n’est nécessaire, de 400 à 1000 Bq/m³, une intervention est à envisager afin de faire descendre la concentration en-deçà de 400 Bq/m³, et au-delà de 1000 Bq/m³, une intervention d’urgence est à engager pour faire diminuer la concentration en dessous de 400 Bq/m³, le site peut être soumis à fermeture sur décision préfectorale. Le tout récent “Plan National d’Action 2020-2024 pour la gestion du risque lié au radon” affiche 300 Bq/ m³ en moyenne annuelle comme seuil de référence pour l’air intérieur dans tout type de bâtiments. Ce niveau de référence est élégamment défini comme « celui au-dessus duquel il est jugé inapproprié d’exposer des personnes ». Ce plan aux allures ambitieuses dessine trois axes : l’information et la sensibilisation du risque lié au radon, l’amélioration des connaissances, l’intégration du risque radon dans le bâtiment.
Concernant le niveau de concentration dans les bâtiments, une campagne de mesures a été menée entre 2006 et 2007 par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire). Cette campagne a porté sur un certain nombre d’ERP et notamment 1865 établissements d’enseignement dont 235 (12.6%) présentaient un taux supérieur à 400 Bq/m³ et 88 (4.7%) supérieur à 1000 Bq/m³. Avec les nouveaux standards de performances énergétiques de 2011, des spécialistes en habitat sain ou des géobiologues constatent aujourd’hui des valeurs supérieures à 3000 Bq/m3 dans certaines habitations et pouvant dépasser 10 000 Bq/m3 dans certains cas plus rares.
Comment mesure-t-on le radon 222 ?
L’émanation du radon n’est ni égale ni linéaire. Elle fluctue suivant la nature même du sous-sol, les conditions atmosphériques et l’humidité, les saisons (plus en hiver moins en été) et aux rythmes nycthéméraux (sur une période de 24h, l’émanation est plus importante la nuit que le jour).
Aussi, afin de réaliser une évaluation pertinente est-il nécessaire de procéder à des mesures sur une durée plus ou moins longue (quelques jours pour une première approche, à plusieurs mois pour une évaluation précise); l’hiver étant la saison la plus propice pour réaliser une mesure. Dans le cadre de la loi sur les ERP, les mesures doivent être réalisées entre le 15 septembre de l’année en cours au 30 avril de l’année suivante par des dosimètres, correspondant à la période la plus émissive en radon et où la ventilation des habitations est la moins importante. Ceci dans l’objectif d’obtenir des valeurs au plus haut de la concentration en radon. L’évaluation de la concentration en radon peut s’effectuer à l’aide d’un mesureur enregistreur électronique spécifique ou de dosimètres que l’on place dans l’habitation pour une période de quelques jours pour le mesureur électronique à quelques semaines pour les capteurs passifs. Rappelons, si nécessaire, qu’il n’est pas possible de mesurer l’activité volumique du radon avec un compteur Geiger, ces derniers ne mesurant pas les rayonnements α du radon 222. Seuls des appareils destinés spécifiquement à la mesure du radon ou des capteurs passfis dédiés peuvent être utilisés.
Comment éliminer le radon de nos habitations ?
D’une façon générale c’est par le biais d’une part, des techniques d’étanchéité des sols et des murs et d’autre part, de la ventilation, qu’elle soit mécanisée ou naturelle, qu’il est possible d’évacuer le radon ou tout du moins de limiter sa concentration. Cependant, ce sont avant tout les valeurs mesurées qui vont permettre d’envisager les techniques de remédiations. Les actions correctives peuvent aller de la simple augmentation de l’aération en ouvrant davantage les fenêtres (en créant des courants d’air) ou en ajoutant des réglettes de ventilation, jusqu’à des installations plus complexes permettant d’étanchéifier la dalle (film anti-radon) associées à un système d’extraction mécanique du gaz en sous-sol pour les cas les plus sévères.
Dans le cadre d’une construction neuve, l’opération est plus facile et devrait être envisagée de façon systématique. Il suffit de prévoir la construction sur un vide sanitaire parfaitement ventilé avec des aérations opposées bouche à bouche en mode traversant (une aération de 200 mm Ø placé tous les 4 m dans la direction des vents dominants et sur la maçonnerie opposée), en veillant à ce que les aérations prévues ne soient jamais bouchées, ou bien encore avec des fondations construites sur pilotis (exemple avec un plancher bois ou béton sur pieds) ce qui assure sans appareillage technique supplémentaire, la non-concentration du radon et son évacuation naturelle. Le vide sanitaire parfaitement ventilé va éliminer environ 75% du radon et la construction sur pilotis élimine environ 95% du radon venant des sols.
Pour en savoir plus :
www.criirad.fr
www.geobiologie.fr
www.irsn.fr
www.cstb.fr
Auteur : Bruno MONIER